jeudi 17 novembre 2011

26


Je crois que mon rapport avec les gens s'est avéré dès la maternelle, naturellement, sans contrôle me reflétant comme quelqu'un d'assez misanthrope, silencieux et observateur. On disait toujours « elle ne parle jamais cette petite, elle est sage comme une image ».  Faut dire, ça me plaisait pas de bavasser, d'autant que je n'avais rien à répondre. Mon grand truc, c'était de me poser quelque part, cachée sous une table, et observer les situations comme une petite souris. Je savais du coup toujours où se trouvaient les cadeaux de noel, assistais toujours aux  disputes de famille, m'ennuyais durant les longues discussions d'adultes etc. Quand j'avais pas envi de voir du monde, je me planquais dans le grenier où j'y avais mes jouets, et j'étais dans mon petit monde où je contrôlais tout. J'aimais pas prêter mes jouets, j'aimais pas jouer avec les autres, j'avoue que j'étais déjà méprisante car je considérais qu'ils gâchaient toutes les histoires de poupées.  Je pouvais m'exprimer qu'en contrainte de l'autre et ça me pesait. A l'école cependant, ça a changé. Je ne sais pas pourquoi, j'ai connu pour la première fois, l'envie de me faire reconnaître par les autres. Certains pour ce faire, deviennent des rigolos, des emmerdeurs, moi je suis devenue faisant partie des bonnes élèves qui aiment aider ses petits camarades.  Pourquoi ce trait en particulier ? Ce trait si étrange quand on sait qu'il vient de quelqu'un profondément individualiste ? Je ne sais pas, je crois que le décès de ma grand-mère qui m'élevait comme sa fille, a changé mon regard sur le monde,  m'a fait comprendre les notions d'amour et de manque. Après ça je n'étais plus pareille, je croyais en Dieu. Sa mort m'a un peu sauvé je pourrais même dire puisqu'elle m'a fait ouvrir les yeux. Je n'ai eu de cesse pendant de très longues années, de me remémorer les principes de ma grand-mère, qui étaient fondés sur l'honnêteté, l'amour et la bonté. J'ai essayé d'en faire ma Bible, avec ce que j'avais d'expérience, et je suis devenue idéaliste, avec le désir de  rencontrer du monde, de le découvrir. Je fus et suis très fleur bleue, mais pas dans le sens désuet, romantique, plutôt comme pourrait l'être un Stéphane Trophimovitch ou  un gentilhomme du dix-huit ème siècle : je n'ai pas honte de ma sensibilité, de mes émotions, je ne nierais pas mon envie de changer le monde et je peux l'écrire sur dix mille pages, car je me fous d'être lu ou non. Du coup, toute ma vie, j'ai adopté ce mode comportemental, et pour moi toute relation à présent se lie avec une idée de partage, de maître à élève existentiel, coûte que coûte, le  but c'est d'évoluer ensemble sinon rien.  Ceux qui ne sont pas allés plus loin avec moi, je ne m'en souviens pas, ils n'existent pas. Au collège, j'avoue que je trainaillais avec des groupes, mais déjà j'avais un goût de l'exclusif, de la connaissance approfondie de l'autre, puisque les meilleurs moments, les plus beaux souvenirs, sont ceux qui se sont déroulés avec une seule amie, et hors des murs de l'école.  Nous parlions des heures, de la nature des gens, de ce que nous voudrions faire plus tard, de ce que nous considérions bien ou mal dans tous les domaines. Il y avait une vraie et pure amitié. Au lycée, j'ai débarqué dans un petit établissement, où j'ai été seule pendant un semestre. Je n'aimais pas les filles de ma piaule, et ceux de la classe se connaissaient déjà . J'ai fréquenté plus tard un groupe de hippies, jongleurs, fumeurs, buveurs de bières qui se posait toujours sous les arbres dans le seul coin d'herbe. J'aimais leurs différents talents, on se mettait à créer de mini pièces de théâtre ensemble, on a joué dans les courts métrages des uns et des autres, on a fait du dessin, de la poésie, en réalité, c'était perpétuellement une motivation créatrice, une volonté de s'affirmer. Franchement à cet âge là, c'est génial de trouver des gens qui ne te jugent pas, qui sont plutôt artistes et t'encouragent à t'ouvrir. Faut dire, c'était d'autant plus important pour moi, que comme pour certains membres de ma génération, j'avais passé la première partie de mon adolescence surtout derrière un écran, avec des gens que je ne pensais jamais rencontrer. J'étais vraiment une gosse du net, une tchatcheuse invétérée, déjà branchée blog et profils virtuels. Là au moins, dans la réalité, on peut partager de vraies interactions, de plus puissantes émotions, on se meut dans un espace contre lequel on se heurte et ça fait vraiment mal. Les premières rencontres, les premiers émois pour moi sont les plus beaux, en cela qu'ils n'ont pas de référent, d'antériorité, ils sont enrubannés à la fois de la beauté de l'être, de sa jeunesse, et de la découverte. J'adulerai toujours mes quinze ans pour m'avoir touché des premières passions, et du puissant désir d'avoir envi de s'y abandonner. C'était fulgurant, je ne les regretterai jamais.
 
  Les relations après ont quelque chose de plus pondéré, de plus étudié, c'est du travail plus en finesse, plus en lenteur, on prend le temps de connaître, de savourer, car on a appris que les passions consument, que les souvenirs restent. C'est moins saisissant, mais finalement c'est plus fort, on y investit plus de sentiment et d'intégrité. C'est pourquoi on rencontre moins de gens, car les circonstances font qu'on a plus le temps de se consacrer à tous, et qu'il faut choisir, élire, juger, et puisque l'on devient chaque jour un peu plus soi-même, nos amis deviennent des reflets de ce que nous sommes, de ce que nous pensons, des bouts de nous.
Néanmoins, je ne crois pas qu'il faille uniquement se consacrer à ceux que l'on aime personnellement.  L'amour se partage, il se donne comme du gâteau. Passer cinq minutes à lire le texte de quelqu'un pour lui dire ce que l'on pense, c'est de l'amour, parler avec un sdf seul depuis trop longtemps c'est de l'amour, prendre le temps de discuter avec les inconnus c'est de l'amour, et tous ces instants éphémères avec autrui, sont des trésors ponctuels et nécessaires.  Ne jamais être indifférent, voila la ligne de conduite que j'essaye de me fixer. C'est pourquoi je ne refuserais jamais la discussion, jusqu'à creuser dans le fond, y mettre du temps, parce que c'est toujours riche en quelque chose. Donner de soi ça a du bon, et recevoir des autres c'est fabuleux. Sinon, ça ne veut pas dire aussi que je suis capable de supporter l'agressivité de quelqu'un juste par bonté d'âme, si je juge aussi qu'il n'y  a rien à creuser, je n'aurais aucun remord de me barrer sans dire Au revoir . Il y a mordre, et resté mordu par bêtise, faut pas s'entêter à donner quand l'autre ne veut pas recevoir et qu'il ne veut rien te donner. Choisir les gens qu'on veut aider ou apprécier, ça peut paraître totalement arbitraire et pédant, on ne peut pas être généreux réellement quand aider fait plaisir, mais si j'ai décidé d'être comme ça c'est avant tout parce que je crois qu'on a peu de temps à vivre, et qu'il faut choisir ce que l'on veut, en sachant pourquoi et sans avoir de regrets.  Je zappe ceux qui me paraissent cons, avec qui on ne s'apportera rien, parce qu'on est pas connectés, et que toute relation sans connexion est vouée à l'échec.  Donner de son temps aux autres, ne doit jamais être lié à l'idée de le perdre. Si on commence à s'imaginer ça, c'est qu'on ne  va pas savoir quoi offrir et être inutile.
Je comprends cependant la démarche des médecins ou des gens dans le milieu médical, qui ont décidé de faire leur vie en aidant coûte que coûte leurs patients, l'Humain en général, qui qu'ils soient et d'où ils viennent, mais moi , je suis incapable de soigner le corps, et donc de ne pas voir de différences entre les gens. Petite parenthèse, c'est pour cette raison que je ne crois pas au potentiel des psychologues s'ils n'apprécient pas leurs patients, il faut vraiment qu'il y ait une connexion entre le thérapeute et le patient, sinon ce ne sera que devoir ou corvée, et ne mènera à aucune résolution de problème. Il faut être passionné par l'être humain je crois, puis par ce que va dire le patient, pour trouver les bonnes questions; Je veux dire, ne pas se mêler un peu des problèmes d'autrui, comme s'il s'agissait des siens, c'est juste proposer un autre regard, pas former celui de l'interlocuteur à partir de ce qu'il est. On ne le soigne pas, on l'oriente ailleurs.  Donc même si je peux essayer de parler à quelqu'un' objectivement, sans idées reçues, je finirais toujours par découvrir assez vite, si notre communication mène quelque part, et si elle veut se poursuivre. Dès lors, c'est même logique que mes rencontres avec les gens soient rapidement catégorisées comme positives et négatives, continuables ou non. Le cœur a ses raisons, et il est le devoir de la raison de les comprendre. C'est ce qui fait qu'on peut se connaître soi même, et savoir qu'on aime. Etre idéaliste, c'est se donner quand les autres en ont besoin, mais selon ce que tu veux leur donner, par ce que tu considères de bien. C'est une illusion, c'est comme donner de la viande hachée à une tortue. Alors c'est bien quand tu en as conscience, parce que tu peux changer, et différencier ton idéalisme de ta véritable capacité d'aider. Et quand je dis que donner de son temps c'est de l'amour, passer du temps avec les plus miséreux c'est de l'amour, j'ajoute qu'en plus d'idées en l'air, un peu de sous, de l'aide à des associations et de pragmatisme sont nécessaires pour être vraiment utile. Tu deviens un médecin du cœur et de l'instant. Il faut savoir exploiter son monde intérieur, pour interagir avec pertinence et idéal dans la réalité et rencontrer des gens me permet de mieux me figurer cette réalité. De la misanthrope timide assise sur les bancs de sa classe, à la gamine bouffeuse de mondes, je crois que je suis devenue quelqu'un de passionné, qui a appris à se pondérer pour agir, interagir avec modération, raison et valeurs, qui s'y essaye du moins et c'est jamais facile, qui a je ne sais pas pourquoi de la rage en elle, qui a envi de dénoncer et qui se frotte finalement au monde pour vibrer un peu.  Je suis revenue au point de départ, je n'ai pas envi de sortir, de voir du monde, de « me la coller » avec des potes, j'apprécie simplement les bonnes discussions, les longs échanges, et les moments rares. Ceux-là mêmes qui font que ta vie a un sens, un élan.  
 
Le lecteur pourrait dire: "Mais qu'est-ce qu'elle parle d'elle ! C'est pas croyable, elle doit trop s'aimer cette meuf! Mate moi ça, elle nous raconte sa vie, tranquille, sa conception des relations en version je me la claque j'ai plus de trois mots de vocabulaires. Tain ça me débecte ce genre de personne ! C'est de la vanité pure, je crache dessus
Moi : Je suis pas là pour me la jouer Rousseau, j'ai jamais été traumatisée par les fessées, et c'est pas de moi que j'ai envi de parler, c'est de mon regard, pour le frotter à celui des autres, prendre des claques ou des échos dans la gueule, pour trouver des gens avec qui il  y aurait cette fameuse "connexion".
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire