Die Antwoord- Enter the ninja
Je nous découvre comme une génération pourrie, sans repères, sans idéal. Une jeunesse de matières et de badges, de listes de goûts et de photos conformes. On vit dans une société qui nous prive de rêves et de projets, et nous avançons à pas militaires, vers cette grosse machine qui nous formate, vers des buts nommés, administrés. On nous balance des concepts genre liberté, créativité, égalité, tout comme si c'étaient des trésors, mais lorsqu'un individu tente de se les approprier, il devient marginal, exclu, le bec dans l'eau. Ainsi je me rappelle d'avoir étudié Voltaire, l'engagement contre le despotisme, et avoir été mal traitée de parler politique actuelle dans une copie. Je me souviens avoir lu Huysmans, et avoir été moquée lorsque j'ai voulu m'habiller en dehors des normes esthétiques de notre époque. Tout le monde a connu ce genre de peine dans différents contextes. Je voudrais voyager, vivre libre, tout lâcher, mais ma condition, la peur du chômage, l'échéance des études, leurs prix, m'en empêchent. Si l'on choisit de faire l'expérience d'une vie originale, il faut être conscient que la société ne se privera pas de nous abandonner, de nous considérer comme inutiles voire comme un soldat qui aurait décidé de se couper un bras pour ne pas combattre. « Tu vas râter ta vie » dans le langage populaire d'aujourd'hui, ne signifie pas qu'on échoue d'un point de vue éthique, simplement, qu'on ne réussit pas à s'inscrire dans un rôle sociétaire. Ainsi, même dans nos films, les héros marginaux, les bizarres, les originaux, ne vont pas détruire la société, lutter contre elle ou la quitter, ils vont chercher en eux même ce qu'ils peuvent lui apporter, à la limite la forger par leur propre personnalité. Je veux dire, on est vraiment loin des anciens romans d'aventure, où le « héros » cherchait avant tout ses propres intérêts, à vivre selon ses goûts, en rusant pour ne pas se faire arrêter. Je pense notamment à Casanova, (1) dont j'ai lu les Mémoires récemment. Ce cher monsieur est pervers, pédophile, escroc, évadé de prison, et jamais il ne se justifie, se remet en question, il ne vit que pour l'excitation et ses propres désirs. Aujourd'hui, même dans les romans pornographiques, le narrateur explique pourquoi il en est arrivé là, pourquoi il a besoin d'écrire : « pour se faire comprendre », en somme pour être accepté, pour rendre « normal » ou « dans la norme » ses agissements ou ses pensées. On veut légitimer, légaliser tout travers, toute originalité, par crainte d'être exclus. La première lecture de ce genre d'histoires d'aventures d'aujourd'hui pourrait faire penser que le mouvement de pensées actuelles désire favoriser la créativité, rendre « public » le nouveau cependant je crois que la créativité sert ici surtout au pragmatisme culturel. L'individu doit trouver une utilité à son génie, pour les autres, pour les aider, pour servir. Or, si l'art est un engagement, pourquoi serait il nécessairement au service des hommes, de leur distraction ou soumis à une activité communautaire ? Pourquoi de l'art dans les métros ? Dans les publicités ? Dans l'individualisme ? Dans les blogs ? Partout, par chacun, pour tous ? L'art n'est pas intrinsèquement ici pour être le miroir du génie humain, ou du génie de nos égos, il est.
En me promenant de blogs en blogs, certains soirs, je suis frappée de constater qu'il y a souvent, cycliquement le même message traversant les textes, un besoin de reconnaissance, d'attention, une envie d'exister pour un impossible bonheur. Ce bonheur n'est jamais décrit, il n'est jamais remis en question, il est un mot libre et vide, comme un ballon qu'on jette au vent. Il semble être synonyme d'une volonté de se démarquer, d'une envie de servir quelque chose de PLUS GRAND, cependant, dans le fond, c'est toujours son propre égocentrisme, son propre regard, parfois aussi insignifiant soit il. Le bonheur c'est quelque chose qu'on voudrait attraper, acheter, avoir, ainsi qu'un objet. Tout comme on pourrait par lui, s'acheter le droit d'être utile, regardable, appréciable des autres. Je dis des poncifs, je dis des choses déjà dites, pour être sur( e ) qu'on louera mon existence. Je ne heurte pas autrui, je suis citoyen des lettres. Ma société est littérature, c'est-à-dire un miroir du réel, et dans ce miroir, on se contente de l'inaction et du développement d'un moi sans fondements, sans desseins. On s'y dit engagé contre la pauvreté, contre le conformisme, plutôt de gauche peut être, profondément sensible, mais derrière l'écran, on vit au rythme des études, du monde humain, on vote, on achète au supermarché, on est tous pareils. Les blogs sont aujourd'hui le reflet, d'une petite société bourgeoise qui a une empathie formatée pour la misère, sans jamais la connaître, une envie d'utopie sans avoir réfléchi au concept, ou même à ce qu'était pour nous un monde parfait. Le monde parfait, on le rattache presque à des choses impossibles, au même titre que la religion, ou la philosophie hippy.
On dit qu'on ne le ressent pas ce bonheur, que cela nous bouleverse, et il est toujours accolé aux mots chimères ou mythes, on se prend pour Ulysse ou Perceval, sauf que nos nouveaux héros ont pour quête leur propre individualisme, sans recherche de transcendance, de spiritualité. Il leur semble que l'évolution ne demande aucun travail, aucune remise en question, qu'il faut juste se servir de la partie mémoire de notre cerveau, des mots déjà entendus, vus, et de les ressortir comme un perroquet bien élevé, pour être un sujet bien formé, bien pensant, un homme nouveau. Ne pas connaître le bonheur, c'est chic, c'est élégant, le dire, c'est être écrivain. Il y a une volonté de vivre dans le virtuel, dans l'à peu près, de se mélanger aux autres, à la façon des insectes qui grouillent sur les mêmes ordures. On pleure en mots, on écrit les mêmes formules, on va ensemble vers le rien. Il me semble que nous sommes une génération qui aurait rêvé de stabilité dans un monde chaotique, et qui par l'écriture désire réinventer sa destinée. En un sens la littérature aura peut être son apogée au 21 ème siècle, car quel est le rôle de la littérature, sinon de donner une nouvelle face au monde, lui forger un masque, pour qu'il existe comme un Homme sur lequel nous pourrions nous identifier? Le style soutenu se meurt, il est vrai, pleurez gente classique, le monde est trop pauvre, trop misérable, trop hypocrite, nous ne devons pas reproduire la même glose, en le cachant de poésie. Pour ceux qui le disent sans y réfléchir, et bien je souhaite qu'ils ouvrent les yeux, mais je ne suis pas pessimistes, car d'écrits en écrits, je trouve parfois certaines initiatives, certaines pensées positives, qui me font penser que le monde peut encore changer, sortir de cette impasse, de ce gros tas d'idées éculées. Dans un monde qui se systématise, se conforme, s'établit monolithique en écrasant les minorités, nous ne devons pas perdre notre temps à séduire les élites, mais se faire entendre du plus grand nombre. Nous devons raconter le réel et partager ce qu'il provoque en nous, toutes ces douleurs mentales, ces sentiments de vides, d'impuissance qui nous déshumanisent, pour tenter d'alarmer le monde de sa déchéance. Dire simplement, constater par notre propre expérience, avec nos propres mots. J'admire les dires de Kery James, la rage de Keny Arkana, le goût des mots justes de Grand Corps malade. C'est bourré de trouvailles, de paroles sensées, rhétoriquement parlant tout en restant simple, compréhensible, collectif, comme un discours de rassemblement. Il s'agit de leurs propres vies, pas celles de milliers d'autres, il n'y a pas la volonté de dire « je suis comme vous, restons comme nous sommes », ce serait plutôt « Voila ce que je vois de nous, voila comme j'aimerais nous voir ».
J'ai longtemps écrit pour ma gueule, ressenti uniformément les maux bourgeois, ce besoin de crier moi sous peine d'avoir l'impression de disparaître, mais j'ai réalisé que ce n'était pas moi qui comptais, c'étaient les valeurs qui m'apparaissaient juste, et qui pourraient être le fondement d'une société meilleure : l'honnêteté, la tolérance, le goût des gens et de la culture plutôt que de la civilisation .
Je viens de passer huit jours à Paris et j'ai bien sûr fréquenté les métros, d'arrêts en arrêts, j'y ai vu des ombres, des ombres fuyantes, entre grandeur et misère. Une indifférence totale aux autres, un besoin de se regrouper par des sectes vestimentaires, carriéristes, de passions totalement codifiées, normalisées. Des clochards qu'on ignore, des vieux qu'on bouscule, des yeux terrorisés, des regards morts, des musiciens qu'on écoute plus ; J'ai rêvé à un moment, de me lever et de crier : « bande de connards. » Mon petit monde poétique existe pour lui-même, je n'ai pas envi qu'il serve à la société, combien même il n'en a pas la valeur. Il est là pour louer les natures et les beautés, ce que je conçois comme esthétiquement sublime, ou grotesque. Je n'ai pas envi de rentrer dans le moule, pour avec d'autres, me complaire dans un mal être, dans une apathie singulière, proche de celle du dandy ; J'aimerais vraiment et simplement, ne plus geindre, mais profondément toujours, me poser en juge grave et sévère de mon travail, pour éviter les chemins déjà empruntés, et faire part au travers de mes lignes, de ce qui serait pour moi réellement un monde nouveau. Je suis issue, et je porte les stigmates d'une génération qui n'a pas de concentration, qui bâcle le travail, entame plein de choses en ne les finissant jamais, qui ne croit plus vraiment en Dieu, qui s'imagine la poésie comme l'école nous la enseignée, qui continue d'élire des présidents tout en ayant connaissance du caractère crasseux et dégueulasse de leurs agissements, qui est indignée mais sans armes, qui se cache plutôt que d'éclater, qui souffre et se médicamente aux produits proposés par la société : bouffage excessif de séries pour s'évader, lecture d'inepties fantastiques, recherche d'un autre monde dans les autres pays, drogues diverses, alcool, connexion permanente aux autres, refus de s'ennuyer, participation pseudo active à des manifestations, à des élections. Je fuis la véritable contestation parce que je suis moi-même le produit faible, factice de la société qui m'a engendré. Si j'avais été différente, j'aurais crié « bande de connards » même si ça n'aurait rien changé car alors, j'aurais lutté contre moi-même, j'aurais été moi-même, plutôt que de métamorphoser le monde. J'aurais été pourvue des qualités de mon être idéal, pour de vrai, pas simplement ici, auprès de quelques lecteurs fatigués de me lire, eux-mêmes bouffés de l'intérieur, lavés dans leurs cerveaux, rompus. L'écriture dans ces blogs, ne devrait jamais être considérée comme une fin en soi, une contestation, une réelle preuve de marginalité ou de personnalité. Elle devrait être le moyen d'avertir, de pointer du doigt, pour que tous, aussi difficile que ce soit, nous décidions d'agir réellement comme nous pensons le Bien, de nous aider à sortir des sentiers déjà battus, plutôt que de nous congratuler par indifférence. Etre des humains, pas des concepts. Ainsi, si la poésie demande il est vrai, parfois des expressions qui ne semblent parfois rien vouloir dire, l'utilisation de mots compliqués, c'est un fait à part pour moi, même si le rap est par exemple en marge de cette conception. Le rap en effet pour moi se rapproche le plus de l la prose qui devrait, elle, être optimiste, être expérimentale, être discursive, non pas pour rejoindre la société, entrer dans le monde des autres, mais pour penser vraiment à sa propre échelle, non pas vers l'universel, mais vers le parfait.
(1) Voir article sur Histoire de ma Vie. Casanova
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